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28 mai 2007

l'arrangement

  Elle avait décidé de s’installer dans une région désertique peu après le mariage de sa fille. Trop de tensions s’étaient accumulées lors de la réception et les deux familles avaient même profité de ce jour pour régler leurs comptes. Mme Mirteau part donc se reposer quelques jours en Camargue, alors que son mari doit se rendre à l’étranger. Pour lui aussi, vite reprendre le travail est plus que nécessaire.
Arrivée sur place, Mme Mirteau elle se dirige vers une maison d’hôte, conseillée par sa fille. La maison, située à l’écart du village, est simple, composée d’un salon style art déco, de deux chambres de la même configuration, d’une cuisine très fonctionnelle et d’un perron tout en bois. Différents petits chemins jalonnent autour pour aller se perdre dans une forêt de pins.
A peine installée dans une chambre à lit double, le temps vire du maussade au pluvieux à une vitesse fulgurante. Elle entend alors des voix se rapprocher du perron. Par la fenêtre du salon, elle aperçoit trois randonneurs : deux hommes et une femme d’une trentaine d’années. Afin de montrer qu’elle est encline à partager cette maison, elle leur ouvre la porte et les accueille avec un grand sourire.
- Bonjour ! On dirait qu’il était temps que vous arriviez, leur annonce-t-elle toute joyeuse en regardant la pluie tomber.
Les visiteurs se regardent pour lui montrer leur étonnement de cet accueil et, bizarrement, restent bouche béée sur le perron à la regarder, attendant une éventuelle réaction de sa part. Puis, n’en voyant aucune, ils feignent de partir.
- Entrez ! Entrez ! Je suis moi-même arrivée il y a une heure.
- Excusez-nous, on pensait qu’il s’agissait d’une maison d’hôtes et que nous serions seuls, répond un des hommes.
- Mais, c’en est une ! C’en est une. Je viens juste vous accueillir et il est vrai que j’ai réservé à la dernière minute. Il y a un problème ? Je m’appelle Mme Mirteau, leur dit-elle avec un large sourire en leur tendant la main. Ils la saluent d’un air dubitatif et se regardent entre eux, perplexes.
Mme Mirteau aime et a l’habitude de toujours recevoir beaucoup de monde, sans toutefois avoir les bonnes manières, et son hospitalité peut gêner qui n’en a pas l’habitude. Si un malaise se crée au sein du groupe, elle n’en voit pas l’ombre. Les trois nouveaux occupants se dirigent sans dire un mot vers une des chambres.
- Ah ! Excusez-moi, j’ai pris mes aises et je me suis déjà installée dans cette chambre là, s’empresse-t-elle de leur dire en les retenant avec un sourire pincé. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient. Après tout, je suis arrivée la première, s’esclaffe-t-elle.
L’autre chambre possède deux petits lits superposés.
- C’est pas grave, pour une fois, nous ne dormirons pas ensemble. Après tout, nous ne sommes qu’un couple, répond en éclatant de rire un des deux hommes, pour lui ouvrir les yeux sur le ridicule de la situation. La courtoisie serait de leur laisser la chambre double, mais non, Mme Mirteau en a décidé autrement.
Ils sont accompagnés d’un ami qui a jugé bon de directement s’installer sur le canapé du salon sans faire de vague supplémentaire.
Mme Mirteau va sur le perron de la maison où une chaise longue l’attend. En regardant la pluie tomber, elle fait le point sur le mariage de sa fille et sur le conflit régnant. Depuis les présentations avec les beaux parents, un climat de tension s’est installé. Nul doute que chacune des familles aurait voulu marier leur progéniture à quelqu’un d’autre. Il faut dire que Sophie et Pierre Leblanc, les nouveaux mariés, n’ont pas arrangé les affaires de leurs parents respectifs. Le rachat d’une importante usine de textile est en cours et Messieurs Leblanc et Mirteau sont en lice.
La première fois, lorsque Sophie présente Pierre, M. Mirteau refuse tout simplement d’entendre parler de lui. Deux ans plus tard, lorsque la question de mariage arrive, Mme et M. Mirteau s’interposent, mais c’était sans connaître le caractère des futurs époux. Depuis ce jour, les parents évitent toute discussion sur l’autre famille. Ainsi, peu avant le mariage, lorsque Mme Mirteau demande à sa fille l’adresse d’une maison d’hôte, elle ne peut pas savoir que, de son côté, Pierre manigance un plan et propose à des amis proches, invités au mariage, la même chose.
Chez les Leblanc, il s’agit bien d’un mariage d’affaires et leur fils sait ce qu’on attend de lui : mettre Sophie dans leur camp et lui à la tête de cette manufacture, coûte que coûte. Sophie est l’opposé de sa mère et depuis cette histoire de rachat, elle lui tourne le dos. Ce mariage, bien qu’elle éprouve réellement de forts sentiments d’amour pour Pierre, son mari, est surtout un pied-de-nez à ses parents pour leur montrer toute leur bêtise. Elle se contrefiche de leur intérêt. En même temps, elle sait tout le bien que pensent les Leblanc d’elle et ils savent le lui montrer. Un accord a été signé au préalable : si elle obtient gain de cause pour que ses beaux-parents rachètent cette usine, elle sera actionnaire à hauteur de 33%.
Durant le mariage, Mme Mirteau était tellement occupée à gérer l’organisation, qu’elle n’a pas prêté attention aux amis de Pierre. Sandra, Alex et Fabrice, jouent leur rôle de simples randonneurs à merveille et le temps pluvieux va en leur faveur.
Sandra rejoint Mme Mirteau sur le perron. Cette dernière a le regard perdu dans le vide et ne la remarque pas arriver.
- Vous vous remettez de toute cette tension débordante ?
Mme Mirteau réagit avec stupeur, sortant de ses pensées.
- Pardon ? Vous dîtes ?
- Oh, rien. Juste que j’aime aussi regarder la pluie tomber.
- C’était sympa ce mariage, dit Alex en arrivant, à Sandra. Hein ! Qu’est ce que t’en penses ?
- On peut dire qu’il était réussi en effet, répond Sandra en faisant participer Mme Mirteau à la conversation. Mais il m’est resté un goût amer dans la bouche.
- Ah bon, intervient Fabrice, quelque chose t’a déplu ?
- Je crois que c’est cette hypocrisie latente qui régnait tout le long. Elle se tourne vers Mme Mirteau et lui demande : vous ne trouvez pas ?
Cette dernière n’en peut plus de cette mascarade et sort de ses gonds.
- Mais enfin ! Expliquez-vous ? Qui êtes vous ? Que me voulez vous ? Je ne comprends pas un traître mot de ce que vous racontez.
- Tu vois, répond très calmement Sandra à Fabrice en soupirant, c’est exactement ce dont je voulais parler.
A présent, elle en oublie Mme Mirteau, faisant comme si elle n’existait plus. Ses amis comprennent son jeu et en font de même. Ils changent de sujet et plaisantent. Mme Mirteau, retourne alors dans sa chambre et s’enferme. Elle est prise au piège. Il pleut violemment et la nuit tombe. Elle est condamnée à passer la nuit avec ces trois individus. Elle en profite pour leur concocter un plan. Elle n’est pas née de la dernière pluie et ce ne sont pas trois jeunes qui lui feront peur. Elle sait qu’elle n’aurait pas du s’emporter, c’est là sa grande faiblesse. Son mari le lui a plusieurs fois répété : pour déstabiliser l’adversaire, il faut rester impassible.
Le lendemain, au réveil, Mme Mirteau, de bonne humeur, se lève la première. Elle a longuement réfléchi à ce qui avait été dit la veille et se rappelle finalement des amis de Pierre. Elle s’installe sur le perron et laisse filer ses pensées face à un temps qui ne s’est pas amélioré. Un peu plus tard, les trois colocataires la rejoignent. Chacun d’eux se souvient comment s’est terminé la soirée et Mme Mirteau attend de voir leur réaction. Ne surtout pas contre-attaquer. Ils n’attendent que ça.
Ils sont venus prendre le petit-déjeuner et semblent tout joyeux à l’idée de se remémorer des moments passés. Jusqu’au moment où vient une conversation sur la famille Leblanc. Mme Mirteau n’a pas besoin de tendre l’oreille, elle entend parfaitement bien tout ce qui se dit. Alex semble sincèrement dégoûté  par ce mariage d’affaires et doute de la valeur des sentiments de Sophie. Fabrice, quant à lui, reconnaît l’intérêt pour la famille d’un tel arrangement mais ne voit pas le but de Sophie à s’unir avec les Leblanc. Enfin, Sandra rectifie leur position en déclamant que « la fille Mirteau »,  comme elle dit, n’a d’yeux que pour Pierre. En se mariant, elle laisse tomber des parents qui pensent plus au poids de leur nom dans la région et à leur importance dans le milieu du textile.
Irritée par ces remarques déplacées, Mme Mirteau intervient.
- Puisque vous parlez de moi, au lieu de faire comme si je n’étais pas là, vous permettez que je participe à ce débat passionnant, dit-elle en s’immiscant dans le groupe sans attendre leur réaction. Je me souviens très bien de vous au mariage, vous étiez assis à deux tables de la nôtre et vous n’avez rien fait pour rester discrets malgré les histoires scabreuses que vous débitiez tout au long du dîner. Sachez pour ma part, ma chère Sarah…
- Sandra, rectifie aussitôt l’intéressée.
- Si vous voulez. Sarah, Sandra, c’est tout aussi moche remarquez. Sachez, ma chère, reprit-elle sans lui laisser le temps de répondre, que ma fille aime sincèrement Pierre et que le conflit que l’on a, mon mari et moi, avec la famille Leblanc remonte bien avant leur rencontre. Elle sait très bien où elle va en se mariant avec lui et je puis vous assurer que, mariage ou pas, le combat que nous menons pour avoir cette entreprise reste le même. Vous avez fort bien fait de parler d’intérêt  sur le long terme car ils n’en verront pas le jour. Vous pourrez dire à Pierre lorsque vous le verrez, qu’en se mariant avec ma fille il a d’ores et déjà perdu le contrat instauré entre ses parents et lui. Je suis au courant qu’ils proposent 33% de la société à ma fille. Nous, nous lui lègueront tout. Autre chose à ajouter ?
Là-dessus, Sandra, Alex et Fabrice se regardent ne sachant que dire.
- Pierre a bien été stupide de vous envoyer jusqu’ici afin de rajouter un malaise qui n’existe pas. Tout est très clair dans notre famille. Je suis au courant de toute la vie de Claire. Je plains seulement vos pauvres parents.
Mme Mirteau se lève et retourne dans sa chambre pour se préparer. A sa sortie, elle voit les trois donneurs de leçons ranger leurs bagages et commencer à partir.
- Ah ! Vous ne restez pas ? Dit Mme Mirteau en souriant.
- Vous ne pensiez tout de même pas que nous étions venus spécialement pour vous ! Annonce Alex le plus calmement possible. Non, Pierre et Sophie nous attendent un peu plus loin pour un séjour entre amis. Elle ne vous l’a pas dit ? Demande-t-il l’air étonné en fronçant des sourcils. Vous n’êtes vraiment pas au courant de tout. Comme c’est dommage. Et décidément, vous persistez à vous donner plus d’importance que vous n’en avez, Madame.
La pluie tombait violemment sur les trois voyageurs.

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